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En ce mois d’avril 2021, retrouvez-nous pour une interview du Docteur Anca Popa, Médecin du Travail dans un Service de Santé au Travail Inter-entreprise, sur le thème de la collaboration entre Médecin du Travail et Infirmier.e de Santé au Travail.

Bonjour Docteur Popa. Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis médecin spécialiste en santé au travail ou plus court médecin du travail.

Formée en Roumanie, j’exerce en France depuis 2013 au sein d’un Service de Santé au Travail Interentreprises, AST 67, dans un petit centre au fin fond de la campagne alsacienne.

Pourquoi êtes-vous devenue Médecin du Travail ? Quelles ont été vos motivations pour choisir cette spécialité ?

En fait c’est plutôt la santé au travail qui m’a choisie et pas l’inverse. Mon score à l’équivalent des ECN ne m’a pas permis de choisir la spécialité que je voulais à l’époque.

Ensuite j’ai découvert que la médecine du travail est une spécialité intéressante et transversale. J’ai donc décidé d’y rester et je ne le regrette pas !

Depuis combien de temps travaillez-vous en équipe pluridisciplinaire ?

J’ai commencé à travailler en binôme avec mon assistante, une modalité d’exercice dont je n’avais pas l’habitude en Roumanie.

Puis, j’ai collaboré avec des Infirmièr.e.s de Santé au Travail dans plusieurs entreprises que je suis.

J’ai également l’appui du service technique de prévention qui ouvre la collaboration avec différents professionnels : Intervenant en Prévention des Risques Professionnels, ergonomes, psychologues du travail etc.

C’est en 2017 que j’ai commencé à travailler avec une IDEST en service interentreprise, avec laquelle je continue à travailler à présent. Malheureusement, tout son temps ne m’est pas dédié! En effet, je ne collabore avec elle qu’une journée par semaine.

En quoi la collaboration avec un Infirmier.e de Santé au Travail a changé votre pratique au quotidien ?

Au fur et à mesure, la confiance s’est installée entre nous et j’ai commencé à lui déléguer de plus en plus de choses (visites, réponses aux demandes des adhérents, représentation aux CHSCT/CSE, activités en entreprises). Je lui ai délégué ces tâches tout en restant joignable en cas de besoin.

Le fait que ma collaboratrice ait été inscrite par notre service, afin de réaliser la Licence des métiers de la santé au travail, a contribué à sa montée en compétence. J’ai ainsi pu libérer du temps pour les visites non-périodiques, qui sont des plus chronophages, pour des actions visant le maintien dans l’emploi des salariés à risque de désinsertion professionnelle et pour davantage d’actions en milieu du travail.

Par la suite, la Covid-19 nous est tombée dessus et nous avons dû revoir nos copies et la priorisation des actions.

Que vous apporte cette collaboration dans le cadre du suivi de la santé des salariés et de l’accompagnement des entreprises sur le chemin de la prévention ?

Il y a deux paliers :

  • Le suivi individuel : L’IDEST recueille lors de ses entretiens des données essentielles ou des nouveaux risques qu’elle identifie.

Cela complète mes informations, m’alerte et me rend attentive. Elle n’hésite pas à me ré adresser des salariés si elle en sent le besoin ou si les arbres décisionnels des protocoles l’y conduisent. Au final cela permet un meilleur suivi de la santé des salariés.

  • Le collectif : Ses interventions lors des Actions en Milieu de Travail (AMT) dans les entreprises donnent lieu à des actions de sensibilisation ad hoc ou que nous programmons par la suite.

De même, elle est en lien avec les préventeurs au sein des entreprises et répond à leurs questions. J’essaie de la rendre un peu indépendante dans son rôle de conseil. 

Travaillez-vous avec des Infirmier.e.s de Santé au Travail en entreprise ? Comme cela se passe-t-il et quelle est leur place au sein de votre équipe ?

Je travaille aussi avec deux Infirmières en Santé au Travail qui exercent en entreprise. Elles n’ont pas de formation diplômante en santé au travail. Je dirais que dans l’ensemble la collaboration se passe aussi bien que possible.

Elles organisent mon planning lors des consultations que j’effectue en entreprise. Elles connaissent très bien l’entreprise, les salariés et les risques inhérents. Elles réalisent des formations gestes et postures. Elles sont aussi impliquées dans les comités de maintien dans l’emploi. Dans une des entreprises l’infirmière participe aux enquêtes AT et parfois réalise des études de postes sur ma demande.

Les Infirmier.e.s de Santé au Travail avec lesquels vous travaillez ont-ils une formation en santé au travail ?

L’IDEST avec qui je travaille au sein du SIST en ce moment a d’abord eu un court parcours en tant qu’infirmière d’entreprise. Elle a une Licence des Métiers de la Santé au Travail, obtenue avec une très bonne note à l’Université de Strasbourg en 2019.

Pour les IDEST en entreprise, aucune des deux n’a de formation.

Voyez-vous un intérêt à ce que les Infirmier.e.s de Santé au Travail aient une formation spécifique en santé au travail ?

Oui clairement. Je sais que certains défendent des opinions selon lesquelles on pourrait presque tout apprendre sur le tas, mais à mon sens, il faut une formation pour structurer tout cela.

D’autant plus que beaucoup de nos Infirmier.e.s de Santé au Travail viennent du milieu du soin et se retrouvent à devoir faire un switch vers la prévention. Et pour faire une bonne prévention il faut une bonne connaissance du concept de risque professionnel et des effets de ces risques sur la santé des salariés.

Sinon on se retrouve avec des Infirmier.e.s qui font passer un questionnaire à longueur de journée et qui finissent par ne plus trouver de motivation et de sens à leur métier.

Nous prônons la santé au travail or elle passe obligatoirement par des gens qui sont motivés, formés et qui se sentent valorisés.

Quelle(s) évolution(s) avez-vous pu constater dans la collaboration avec des Infirmier.e.s de Santé au Travail après leur formation ?

C’est justement ce que je disais dans une question précédente : j’ai pu lui confier de plus en plus de tâches d’évaluation des risques, de conseil et de sensibilisation. Et sa capacité de synthèse a également évoluée positivement.

Avez-vous pu et comment avez-vous présenté l’Infirmier.e. de Santé au Travail de Service de Santé au Travail Interentreprise (SSTI) aux entreprises adhérentes ?

Tout d’abord j’ai annoncé son arrivée et les tâches que je lui avais confiées dès le début. Au début je l’ai accompagné dans les réunions CSE avant de la laisser seule. Au moment où nous avons franchi le pas des visites intermédiaires, j’ai à nouveau fait un mail aux adhérents concernés pour introduire le changement.

J’ai essayé de jouer de ma posture pour couper court à toute éventuelle protestation des employeurs ou des salariés. Je pense avoir réussi mon coup.

Avez-vous déjà eu des refus à la réalisation des Visites d’Information et de Prévention (VIP) ou des Visites Intermédiaires (VI) par un Infirmier.e de Santé au Travail ?

Nous avons eu un refus de la part d’un employeur, mais j’ai repris les explications et à la fin l’intervention de l’IDEST n’a plus posé de problème. Nous avons également pu légitimer son intervention à travers la réussite de sa formation.

Si vous deviez nous donner un mot pour qualifier votre « relation-collaboration » avec l’Infirmier.e de Santé au Travail en SSTI, quel serait-il ?

 « L’équipe qui déchire »

Infirmier.e de Santé au Travail au bureau ou sur le terrain ?

Les deux car dans la santé au travail il y a le salarié et le travail.

Quelle(s) évolution(s) du métier d’Infirmier.e de Santé au Travail voyez-vous dans les prochaines années ?

J’attends dans le futur que les IDEST arrivent à occuper leur place dans la chaine de prévention primaire.

Leur rôle va dans mon esprit plus loin que les visites d’information et prévention faites parfois pour se donner bonne conscience que notre secteur est « à jour ».

Mais être à jour cela veut dire quoi ? Ne pas avoir de visites « en retard » ou jouer un vrai rôle dans la prévention des visites occasionnelles et sur le terrain?

Je me verrai bien confier certaines visites aux IDEST, du type des visites reprises après congés maternité ou des suivis d’aménagement de poste.

Enfin, il faut renforcer leur place et leur légitimité dans la prévention en entreprise.

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