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Le risque chimique, souvent insidieux, est un sujet d’ampleur dans beaucoup d’entreprises où nous intervenons.

« L’enquête SUMER de 2017 concernant les produits cancérogènes, relève que 32.2% de l’ensemble des salariés ont été exposés à au moins un produit chimique au cours de leur dernière semaine travaillée. »[1]

Dans toutes les entreprises les Infirmier(e)s de Santé au Travail sont confrontés à ces risques, tant en termes de prévention des risques professionnels, que de devoir d’information des salariés et des employeurs. Aujourd’hui on vous donne un outil complet qui vous permettra de mieux faire comprendre le risque chimique à tous !

C’est dans ce cadre que nous interviewons le Docteur Stéphane LE BOISSELIER, médecin du travail référent risque chimique et Maryline GEIGER, ingénieure risque chimique au sein d’un Service de Santé au Travail Inter-entreprise (SSTI)

  1. Bonjour Madame Geiger et Docteur Le Boisselier. Vous êtes respectivement ingénieure en risque chimique et médecin du travail chez AST67, un SSTI situé dans le Bas-Rhin. Dites-nous-en un peu plus sur vos rôles au sein de votre SSTI ?

Nous travaillons ensemble depuis 10 ans. Nous sommes complémentaires avec une spécificité technique et médicale. Nous intervenons en appui technique pour les équipes pluridisciplinaires. Très rarement nous répondons directement aux entreprises et toujours avec l’accord du médecin du travail en charge de l’entreprise. Nous formons et accompagnons sur le domaine du risque chimique les professionnels de santé ainsi que les IPRP du service de prévention. Nous mettons en place et gérons des outils comme Toxilist, une base d’information toxicologique collaborative, ainsi que des documents d’information à destination de nos adhérents.

2. Vous avez récemment sorti, un livre blanc nommé « Cancers & risques chimiques au travail, une bombe à retardement ? ». Que contient ce livre blanc et à qui est-il destiné ?

Il s’agit d’un document de vulgarisation à destination de toute personne intéressée par le sujet. Il synthétise les différentes notions du thème (risque chimique, cancers professionnels, prévention, traçabilité, reconnaissance).

3. Dans votre ouvrage vous abordez les cancers professionnels. Quels sont les types de cancers professionnels les plus déclarés en France ?

Pour ce qui concerne les cancers professionnels liés au risque chimique les plus reconnus sont les cancers du poumon, les mésothéliomes liés à l’amiante et hors amiante les cancers de la vessie, naso-sinusiens et les leucémies.

4. Quels types de cancer sont les plus suspectés d’avoir une origine professionnelle en France, tout en étant sous-déclarés ?

Il est difficile de répondre à cette question. Des biais existent : lors de la prise en charge par le milieu médical la priorité n’est évidemment pas la recherche de la cause. Sauf quelques cancers spécifiquement liés à une exposition professionnelle, il n’existe souvent pas de marqueurs pour faire le lien cancer/exposition professionnelle. L’absence dans beaucoup de cas de traçabilité de l’exposition professionnelle rend difficile d’établir un lien entre la cancer et l’exposition.

5. Vous dites dans votre ouvrage que les hommes sont plus touchés que les femmes par des cancers professionnels. Pourquoi ?

Les femmes exercent probablement des métiers les exposant moins à des agents cancérogènes et leurs tâches sont différentes de celles des hommes. Par ailleurs il est possible que la reconnaissance de ces cancers soit encore moins évidente pour elles.

6. Le risque chimique est-il très sous-estimé en entreprise ?

Il est très difficile d’avoir des éléments objectifs pour répondre à cette question. Par notre expérience nous constatons qu’un risque comme l’exposition aux poussières de bois n’est pas toujours pris en compte par les employeurs. L’analyse des dangers avec les fiches de données de sécurité n’est pas toujours réalisée. Des salariés continuent d’être exposés à des substances cancérogènes alors que le risque est clairement identifié (par exemple la silice). Le contrôle du niveau d’exposition qui est techniquement et réglementairement très compliqué n’est souvent pas réalisé.

7. Comment les entreprises peuvent-elles mieux évaluer et prévenir les risques chimiques ?

En mettant en place une démarche d’évaluation du risque chimique avec l’identification des dangers (recenser les produits utilisés, analyser les fiches de sécurité correspondantes, identifier les substances émises lors d’un process), étudier les modalités d’utilisation de ces produits, éventuellement contrôler le respect des valeurs limites d’exposition professionnelles.

Pour la partie « prévention » il faut informer les salariés du risque, par des mesures techniques et organisationnelle réduire le risque (par exemple limiter les quantités utilisées, mettre en place une aspiration…) et mettre à disposition des équipements de protection individuels.

8. Dans votre ouvrage vous nous parlez du préjudice d’anxiété, dites-nous en plus ?

Au niveau santé on peut prendre un exemple : un salarié lors de son activité professionnelle a travaillé dans les mêmes conditions d’exposition à une substance nocive que ses collègues qui tombent malades et certains meurent. Le salarié qui n’est pas malade, est néanmoins angoissé et n’arrête pas de se poser la question : à quand mon tour ? C’est une bonne définition intuitive du préjudice d’anxiété.

Au niveau juridique : la jurisprudence qui est définie par des arrêts de la chambre sociale de la cour de cassation évolue. Actuellement un salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut se prévaloir d’un préjudice d’anxiété. Sous réserve de justifier d’un certain nombre d’éléments qu’il est parfois difficile de réunir, le salarié peut obtenir un dédommagement.

9. Comment les SSTI accompagnent-ils les entreprises dans la prévention du risque chimique ?

Les SSTI aident et accompagnent les entreprises dans leur démarche de prévention à tous les niveaux : évaluation des risques, conseil, sensibilisation des entreprises et des salariés, information des salariés lors de leur examen médical d’aptitude ou de leur visite intermédiaire auprès des professionnels de santé ou lors de séances collectives, lors de la visite médicale de fin de carrière ou de départ avec remise de l’attestation d’exposition aux cancérogènes.

10. Au final, les cancers et les risques chimiques au travail sont-ils vraiment une bombe à retardement ?

Du fait du coût humain et financier des cancers, de la sous-estimation du risque chimique, de l’absence de connaissance scientifique des effets de certaines substances largement utilisées dans le milieu professionnel (nanoparticules), du délai important entre l’exposition et l’apparition de la maladie, tous ces éléments font craindre un amiante bis repetita.

Le sujet vous intéresse ? Vous voulez tout savoir sur les cancers professionnels et les risques chimiques ? Alors n’hésitez plus à télécharger ce livre blanc qui est entièrement gratuit, et accessible à tous !


[1] Cancers & risques chimiques au travail, une bombe à retardement ?  AST 67, Docteur Stéphane Le Boisselier et Madame Maryline Geiger, 2021.

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